lundi 13 janvier 2014

Le troisième cadeau de Peillon à la FCPE

 
Le Point.fr - Publié le - Modifié le

Peillon a fait un cadeau à la FCPE : en fin de troisième, les parents jugeront si leurs enfants peuvent suivre au lycée général. Une catastrophe annoncée.

Les parents sont-ils compétents pour décider s'il faut opérer leur enfant de l'appendicite ?
Les parents sont-ils compétents pour décider s'il faut opérer leur enfant de l'appendicite ? © Jeff Pachoud /  

 

   

 

 

La FCPE (Fédération des conseils de parents d'élèves - ordinairement classée "à gauche") est une puissante organisation qui représente un peu moins de 2 % des parents (315 000 membres revendiqués, à rapporter aux 13 millions d'élèves, soit, en gros, 20 millions de parents, en tenant compte des familles nombreuses et des familles recomposées...) N'empêche : elle obtient de Vincent Peillon tout ce qu'elle veut.
Elle vient ainsi de lui extorquer une décision peu commentée, parce qu'elle va au fond dans le sens général de la gabegie scolaire, qui n'a pas commencé avec l'arrivée de la gauche au pouvoir : désormais, dans quelques centaines de collèges pour commencer et dans tous les autres dès que la première vague sera passée et digérée, ce seront les parents qui décideront de l'orientation de leurs enfants à la fin de la troisième.
Les métaphores valent ce qu'elles valent, mais imaginez que la décision d'opérer votre gosse de l'appendicite - ou de le renvoyer dans ses foyers - ne dépende plus du chirurgien, mais de la volonté de ses géniteurs. Le fait d'être parent donne-t-il l'absolue compétence, comme le fait d'être pape donne, depuis 1870 - les papes antérieurs avaient droit à l'erreur et ne s'en sont guère privés -, l'infaillibilité ?

Kevin passera donc en seconde générale

Ainsi donc, le décret du 7 janvier 2014 (bonne année à la FCPE, semble dire le ministre...) précise que "lorsque les propositions [du conseil de classe] ne sont pas conformes aux demandes, le chef d'établissement ou son représentant avec le professeur principal de la classe reçoivent l'élève et ses responsables légaux afin de leur expliquer les propositions du conseil de classe, de recueillir leurs observations et de proposer un entretien avec un conseiller d'orientation psychologue dans un délai de cinq jours ouvrables. Si, au terme de ces cinq jours, le cas échéant après une nouvelle rencontre avec le chef d'établissement ou son représentant organisée à la demande de l'élève et ses responsables légaux, ces derniers maintiennent leur choix, le chef d'établissement prononce une décision d'orientation conforme à ce choix. Il en informe l'équipe éducative."
C'est bien le moins. Le petit Kevin, qui se tournait les pouces tout en semant le désordre et la perturbation, auquel on avait suggéré une filière correspondant à ses capacités inexprimées, passera donc en seconde générale. Il aura donc le bac dans un avenir plus ou moins proche, et il ira conséquemment s'écraser contre le mur de la fac - comme 50 % de ses petits camarades.
Comme seul le pire est toujours sûr, le Café pédagogique, l'organe officiel de cette pensée pédagogique qui a inspiré la loi Jospin, les IUFM, Claude Allègre, Jack Lang et Vincent Peillon, s'interroge : ce diktat ministériel "suffit-il à assurer un réel libre choix des familles ? Aujourd'hui, en fin de troisième, 65 % des élèves sont envoyés en seconde générale et technologique (GT) et 32 % en seconde professionnelle ou CAP. Quelques progrès ont été réalisés depuis 1997, le taux de passage en seconde GT étant passé de 59 à 65 %. Le taux de redoublement a reculé, passant de 7 à 3 %. Les appels pour décision d'orientation ne concernent que très peu de cas, et les décisions finales prises contre le gré des familles sont encore plus rares. Voilà qui plaide en faveur du libre choix des familles."

Les bobos parlent aux bobos

Piqûre de rappel : en cinquième et en première, qui ne sont pas des classes d'orientation, ce sont déjà les parents qui ont le dernier mot. Kevin était déjà passé en quatrième bien qu'il ne sût pas lire, ni écrire, ni compter. Désormais, les parents décideront à peu de choses près tout au long de l'instruction obligatoire.
Effet évident de la confusion, largement répandue désormais, entre instruction et éducation. Les parents ont toute leur place dans la seconde (enfin, on l'espère), mais quelle est leur compétence dans la première ? Les enseignants ne sont-ils pas les meilleurs juges, après neuf mois de fréquentation quotidienne, du niveau effectif de Kevin et de ses capacités à suivre dans tel ou tel niveau ? Ils sont même mieux au courant que les père et mère de l'adolescent de ses aspirations profondes - les parents souvent n'entendent pas les désirs muets de leur rejeton, obsédés qu'ils sont par des modèles extérieurs, quand ils ne voient pas dans leur progéniture l'occasion de réaliser leurs propres rêves, ou de vivre à travers lui une revanche sur des études interrompues.
Passons sur la dictature de la mode, qui amène tant de parents (et apparemment le ministre lui-même) à rejeter l'enseignement professionnel, pourtant riche de possibilités et réalisant à terme des insertions plus réussies qu'une voie générale mal vécue et mal gérée. Passons sur le fait que les parents les mieux informés des diverses filières ne sont pas forcément ceux des élèves qui ont le plus de difficultés : ce ne sont pas les parents des banlieues difficiles qui protestent le plus - d'ailleurs, on ne les voit presque jamais intervenir dans le cadre scolaire. Ce décret favorise encore une fois les géniteurs d'apprenants (comme on dit dans le langage des pédagogues) qui sont au courant des finesses du système : ici, la Rue de Grenelle, les bobos parlent aux bobos. Passons enfin sur le fait que certaines filières professionnelles très demandées, parce que les débouchés sont nombreux (la spécialisation opticien-lunetier, par exemple), ne peuvent pas accueillir tous ceux qui postulent, par manque de places.

Le droit au bac S

Ce qui est le plus remarquable, dans ce décret préélectoral, c'est la façon dont le ministère obtempère aux desiderata d'une organisation fort peu représentative, mais qui truste les sièges réservés aux parents au Conseil supérieur de l'éducation (huit sur neuf) et impose ses lubies au système scolaire. La présente décision était un voeu formulé en septembre 2012 par Jean-Jacques Hazan, alors président de la FCPE, qui demandait instamment au ministre fraîchement débarqué que les parents soient désormais seuls juges de l'orientation. Son organisation déjà interrogeait : "De quel droit l'éducation nationale s'arroge-t-elle le pouvoir d'orienter les enfants ?" Et elle déclarait ne plus accepter "que l'institution impose ses choix aux élèves, alors même qu'ils sont en capacité de décider de leur avenir. Ce droit au choix existe déjà d'une certaine façon en fin de cinquième ou de première et ne pose aucun problème, pourquoi en serait-il autrement pour les autres classes ?" Les parents ont le secret du bisou magique : ils sont donc compétents dans le traitement de la péritonite.
Sur les forums d'enseignants, les profs (dont l'autorité sortira bien entendu renforcée d'une telle décision) ont des réactions découragées, mais ironiques - c'est tout ce qui leur reste : "Tous les élèves qui veulent avoir un bac S y ont droit. 100 % des élèves qui demandent à entrer en filière S y vont. Puis 100 % de réussite au bac. Plan réussite à la fac, plan réussite dans les grandes écoles : tous ceux qui veulent devenir médecins y ont droit, tous ceux qui veulent entrer à l'École des ponts et chaussées aussi, et en sortent tous diplômés : pas d'ingérence indue des professeurs dans les projets des apprenants." Et de proposer, non sans perfidie : "Ensuite, on confie la santé des responsables FCPE à des médecins ainsi choisis et formés, et on leur demande de franchir sous les caméras un pont construit par des ingénieurs du même acabit."

Donnant-donnant

Une ironie qui ne fera pas plaisir au nouveau président de la FCPE, Paul Raoult. Mais il s'en fiche : il a le ministre pour lui, et grâce au ministre, une augmentation d'un tiers de la subvention généreusement accordée à son groupe de pression : en 2012, la FCPE a reçu une subvention de 333 000 euros ; en 2013, cette subvention a été portée à 480 000 euros - une augmentation qui, selon le ministre, correspond à un "rattrapage" par rapport au précédent quinquennat. L'idée que ce coup de pouce (et un peu plus) soit pour quelque chose dans l'attitude si positive de la FCPE sur la délicate question des rythmes scolaires a effleuré la tête de quelques journalistes mal pensants et de quelques enseignants rétifs au lobbying de l'Incompétence.
Cette fois, en passant ce décret démagogique, Peillon achète sans doute le vote des représentants des parents dans les diverses instances qui s'occupent de réorganiser l'éducation. Et, à terme, sans doute espère-t-il la reconnaissance des parents, qui sont aussi des électeurs, aux municipales et aux européennes, où il prendra la tête de la liste PS dans le Sud-Est.
Pour ce qui est de l'intérêt des élèves, qui est, faut-il le rappeler, le souci constant des enseignants, on verra plus tard. Aux calendes grecques.

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